Internet génère aujourd’hui des données personnelles autoproduites, auto-captées et auto-publiées par les personnes elles-mêmes – délibérément ou non – et utilisées par le calcul intensif sur ces données massives par les services marketing. Depuis la naissance des grands réseaux sociaux tel Facebook, nous découvrons le mimétisme automatisé fondé sur l’effet de réseau et les boucles de rétroaction produites en temps réel par les big data au sein de foules artificielles réticulées. Engendrées par la rétention tertiaire numérique, les foules artificielles connectées constituent l’économie du crowd sourcing qu’il faut entendre en de multiples sens – et dont le cognitariat est une dimension[31]. Les big data sont pour une très large part des technologies d’exploitation des potentialités du crowd sourcing sous ses diverses formes, dont le social engineering est un trait majeur. Internet est aujourd’hui un pharmakon qui devient une technique d’hyper-contrôle et de dés-intégration sociale. De nos jours, le traitement automatique des données personnelles issues des réseaux sociaux consiste à court-circuiter toute singularité qui pourrait se former au niveau de l’individu collectif – singularité collective qui constitue la différenciation idiomatique, laquelle est la condition de toute signification comme de tout sens –, transformant les singularités individuelles en particularités individuelles. A la différence du singulier, qui est incomparable, le particulier est calculable, c’est à dire manipulable et soluble dans ces manipulations[32]. Faute d’une nouvelle politique de l’individuation, les réseaux sociaux virtuels ne peuvent devenir que des facteurs de dissociation. Comment transformer les réseaux sociaux dissociés actuels en réseaux sociaux associés, composés d’individus singuliers et apportant des réponses fondées sur des interprétations différentes ?
Intervenants :
- Antonio Casilli : Maître de conférences en Humanités numériques à Telecom ParisTech (Institut Mines Telecom) et chercheur en sociologie au Centre Edgar-Morin (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris), ses recherches portent principalement sur la politique, la santé et les usages informatiques. Depuis ses premiers travaux sur l’impact des technologies industrielles sur l’imaginaire du corps, sous l'influence de Donna Haraway et d’Antonio Negri, Antonio Casilli a étudié la violence communicationnelle et les cultures numériques. Dans "Les Liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ?" (Ed. du Seuil, 2010) il analyse les usages des TIC et l'impact des pratiques de présentation de soi (avatar, photos, récits autobiographiques) sur les structures sociales, la vie privée, les codes de communication et le capital social. Il s’occupe aussi de méthodologies avancées de la recherche en sciences sociales, notamment de simulations multi-agents. Il est également co-auteur de "Against the Hypothesis of the End of Privacy" (Springer, 2014) ; de "Stop Mobbing" (DeriveApprodi, Rome, 2001), une analyse de la violence communicationnelle dans le capitalisme cognitif ; et de "La Fabbrica Libertina" (Manifesto Libri, Rome, 2000) « une lecture cyborg-marxiste de l’œuvre du Marquis de Sade ».
- Louise Merzeau : Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Ouest Nanterre. Codirectrice de l'axe "Biens communs numériques" du Master recherche Infocom. Directrice ajointe du laboratoire Dicen-IDF (Dispositifs d’information et de communication à l’ère numérique – Paris Ile de France) – responsable de l’axe "Traçabilité, identités et mémoires numériques". Codirectrice de la collection « Intelligences numériques » aux Presses universitaires de Paris Ouest. Ancienne rédactrice en chef de la revue Les Cahiers de médiologie. Membre du comité scientifique du projet "Traces, empreintes, indices. Techniques d'identification et pratiques artistiques" déposé auprès du Fonds national suisse de la recherche scientifique. Ses travaux portent sur les domaines de la mémoire et de l'information : prothèses mémorielles, politiques de mémoire, stock et flux, mémoire par défaut, droit à l'oubli ; de la traçabilité numérique : information sur mesure, des signes aux traces, profilage ; de la présence numérique : réappropriation des traces, compétence numérique. Elle est également photographe.
- Nicolas Auray : Maître de conférences en sociologie à l'École Nationale Supérieure des Télécommunications - Département SES - où il coanime l’axe de recherche "Mutation des Industries Culturelles à l’ère de la Numérisation", et membre associé du laboratoire Théories du Politique (LabTop), Institut des Sciences sociales du Politique (ISSP, UMR 7220). Ses recherches portent sur les thèmes du hacker, de l'état et de la politique, à travers l'émancipation par le numérique et ses limites. Nicolas Auray analyse l'implication des TIC dans trois évolutions structurelles de nos sociétés "capitalistes démocratiques", impliquant notamment une construction identitaire des adolescents et des jeunes, usant des jeux et recherchant la reconnaissance sur des réseaux sociaux virtuels. Son travail étudie également la transformation du sentiment de justice et l'émergence de figures de démocratie participative suscitées par la diffusion des technologies de l'information. Sa méthode articule des emprunts à la méthode biographique, à la mathématique des réseaux, à la sociologie des affaires et controverses et à la grounded theory.