Depuis l’explosion commerciale des jeux vidéo déclenchée dans les années 1990, le Game design conçoit des dispositifs interactifs qui modèlent des habitudes et des automatismes attentionnels, fondés sur des réactions pulsionnelles. Ceux-ci font aujourd’hui l’objet de nombreuses préoccupations et controverses auprès de la communauté scientifique, sur les effets psychosociologiques qu’ils engendrent sur leurs utilisateurs, et leur nombre toujours plus croissant. Cependant, les progrès technologiques actuels en matière de simulation permettent également à certaines branches du game design de proposer de nouvelles expériences esthétiques, conformément à ce que Jacques Rancière caractérise comme une « reconfiguration du partage du sensible » (Jacques Rancière, Le Partage du sensible, Paris, La fabrique, 2000). L’immersion dans une expérience esthétique conduit à valoriser des sensations et des sentiments précédemment insoupçonnés, et/ou à modifier les valorisations qui leur sont associées, tels que le proposent aujourd’hui certains jeux en réalités alternée. L’aventure méta-attentionnelle des dispositifs (ludiques) technologiques de réalités alternée reposent sur une oscillation entre immersion et critique, qui nous invite à nous absorber dans l’attention représentée (et dans l’univers où elle nous plonge), tout en gardant un pied dans la situation réelle d’où nous considérons cette attention. Dans sa climatologie, Peter Sloterdijk décrit une « tension dans la chambre interne », celle fournie par le stress, afin d’éviter la dépression que pourrait produire une habituation généralisée uniquement fondée sur des automatismes et des répétitions. A l’inverse, l’ennui guette toute fidélisation. Les jeux vidéo mobilisent et jouent en général sur ces deux polarités attentionnelles, celle de l’alerte (et du stress) et celle de la fidélisation (l’intensité et la durée), constituant ainsi le Game design comme un véritable laboratoire de l’attention. C’est ce que Facebook a bien compris en rachetant en mars 2014 la firme de game design Oculus, créatrice du célèbre casque de réalité virtuelle Rift. Dans son communiqué Facebook indique vouloir expérimenter et développer de nouvelles « verticales telles que les médias, le divertissement, l’éducation ». Son fondateur, Mark Zuckerberg, précise en outre que « la réalité virtuelle n’est pas mauvaise pour les interactions sociales. En fait, je pense que le social pourrait devenir l’une des principales utilisations de la réalité virtuelle ». Autant de secteurs éloignés de l’objectif initial d’Oculus, porté jusqu’ici principalement sur le gaming. Ce sont ces deux aspects du Game design, psychosociologique et expérimental, qui seront ainsi questionnés au cours de cette séance.